Pierre Leherle
Que se passe-t-il lorsqu’un enfant qui ne l’a jamais connu ou qui ne sait rien de lui, découvre que son père est prêtre ? Surprise, colère, ces enfants du silence ont mis du temps à connaître la vérité et aujourd’hui, ils ont décidé d’en parler sans tabou. Amoureuses d’un homme d’église, fidèles et silencieuses, les femmes, les mères, elles-aussi ont décidé de briser le silence.
« On considère qu’au moins 40% des prêtres actuels en France on mené ou mènent une double vie cachée. Je suis contre le fait qu’il y ait des prêtres qui soient écartelés entre le célibat et leurs sentiments pour une femme« . Marc Bradfer a 44 ans. Il est l’avant-dernier d’une fratrie de huit enfants. C’est après la mort de sa mère, l’année dernière, qu’il a décidé de publier l’histoire de ses parents. C’est la première fois en France qu’un fils de prêtre prend publiquement la parole. « Cinq ans après la mort de mon père, un de mes frères m’a dit : tu savais que Papa était prêtre ? J’étais surpris… ce mot ouvrait la porte d’une vérité familiale cachée parce que la vie familiale avait été difficile pour mes frères et sœurs et pour moi-même et aussi pour mes parents. (…/…) Mes parents se sont rencontrés à l’église de Fourmie petite ville industrielle du Nord. Ma mère était fille de notable. Elle avait 19 ans. Ils se parlaient d’amour dans le confessionnal. Ma mère, dès la première étreinte, le 2 mars 1943, est tombée enceinte. Là mon père a été placé devant un cruel dilemme : soit il quittait l’église avec la femme qu’il aimait et l’enfant qu’elle portait. Soit, il ne quittait pas l’église mais il se séparait de cette femme sans reconnaître cet enfant. Il a choisi la solution la plus conforme à ses sentiments, à sa volonté et à celle de ma mère bien entendu. Il n’a jamais été relevé de ses vœux. Ma mère en a beaucoup souffert. Elle savait qu’elle avait pêché. Le poids du péché de la chair a poursuivi mes parents jusqu’à leur mort et ce poids de culpabilité a entraîné tout le silence que j’ai dénoncé par la suite.«
Après la publication de son livre, Marc a rejoint l’Association Plein Jour créée il y a cinq ans par des compagnes de prêtres. A 59 ans, Elisabeth Szen en est la présidente. Mère de trois filles et divorcée, elle vit une relation clandestine depuis 15 ans avec l’aumônier de son ancienne paroisse. « Il y a d’abord une rencontre et après on prend conscience des sentiments. Ca a évolué relativement vite J’ai eu une éducation très traditionnelle. Pour moi un prêtre c’était un extra-terrestre, quelqu’un qui vit comme un eunuque, qui n’a pas de sexualité. Je sentais qu’il y avait une réciprocité. C’était très perturbant. La culpabilité… c’est lui qui m’a dit : mais ce n’est pas un péché d’aimer un prêtre. Venant d’un prêtre ça m’a délivrée en quelque sorte. » Elisabeth n’a rien révélé à ses parents mais a fini par en parler petit à petit à ses amis proches et « mes amis sont devenus ses amis. Mais je ne connais pas les siens. Ca m’amène à me dire : qui suis-je pour lui ? La double vie me fait souffrir et en tant que chrétienne je trouve que ce n’est pas honnête de cacher ça. Je pense que ce serait une grande souffrance pour lui d’avoir à faire un choix. Je l’aime. On est un couple qui dure… et ça m’aide à vivre » « Lui aussi il l’aime » lui affirment ses filles en chœur.
A 34 ans, Sophie, catholique pratiquante a rencontré le père de son fils lors d’une activité paroissiale. Olivier sait depuis toujours qui est son papa et » pense que c’est pas bien qu’il ne puisse pas se marier ». Quelques rares amies connaissent sa situation et la soutiennent. « Au début on vivait ça sans se poser de questions. Le côté prêtre je l’avais carrément occulté. J’étais amoureuse de l’homme point final. » C’est ensemble qu’ils décident d’avoir un enfant et, à la naissance d’Olivier : « là j’ai commencé à réaliser que les choses ne seraient pas totalement équilibrées. » Olivier n’est reconnu par son père qu’à l’âge de 6 ans. « A partir du moment où il garde son anonymat, il n’y a pas de sanctions prises contre lui. Toute cette partie cachée c’est aussi pour ça que notre relation s’est vite dégradée. Ca a été longtemps de la colère, maintenant ça passe parce que j’aime mon enfant… c’est un vrai cadeau. »
Olivier a 33 ans et est l’aîné de trois enfants. En 2003 son histoire a défrayé la chronique. Brisant la loi du silence, il dépose dans les boîtes aux lettres des paroissiens de son père, un texte où il révèle la double vie du prêtre. Pour la première fois, il accepte de raconter pourquoi. « J’ai eu une enfance assez heureuse mais j’ai eu un manque au niveau de mon père parce que je ne l’ai jamais connu. En 1990, j’avais 20 ans, à la suite du décès d’un grand-oncle j’ai découvert des papiers qui lui appartenaient. Il était lui-même prêtre et informait l’évêque de ce qu’il avait découvert à l’époque. Ca m’a fait mal. J’étais pas préparé à ça. J’ai écrit une lettre à mon père pour lui dire que j’avais découvert qui il était. » Après une vague réponse de ce père qui le met en colère, Olivier décide de rendre l’affaire publique. Presse et télé relaient l’information… le prêtre est mis à la retraite et sommé par son évêque de reconnaître ses trois enfants. « J’ai envie de rester caché pour des raisons personnelles et professionnelles surtout. J’ai du mal à parler de ma vie Dire : mon père c’est un curé, c’est pas facile à dire. »
Monseigneur Boulanger a dû affronter la tempête médiatique déclenchée par les révélations d’Olivier. « J’ai vu un prêtre de 80 ans pleurer devant moi. se souvient-il. Il y a eu des blessures. Les jeunes prêtres l’ont fortement ressenti. (…/…)On ne peut pas donner sa vie à la fois pour une femme et pour un peuple tout entier. Il est possible qu’un jour l’église reconnaisse des prêtres mariés.«
Pierre et Sylviane ont fêté ce qu’ils appellent leurs « noces d’argent ». Depuis 27 ans, ils passent dimanches et vacances ensemble. Ils ont accepté de témoigner cachés « je continue d’exercer un ministère. Peut-être que les gens seraient d’accord mais je n’en prends pas la décision. » « J’ai deux enfants d’une première union qui sont au courant de la situation mais qui n’ont pas envie que ça se sache. Notre situation reste une situation tabou et ils n’ont pas envie d’être montrés du doigt. A partir du moment où il a revêtu son aube ce n’est plus mon mari. Je fais bien la différence entre l’homme que j’ai chez moi et l’homme qu’il est à l’église. J’aurais aimé avoir un enfant avec Pierre. Mais être enfant de prêtre dans notre société c’est une situation épouvantable. C’est uniquement à cause de la société qu’on n’a pas eu d’enfant ensemble. Je me suis dit : nous nous aimons mais nous n’aurons pas d’enfant ensemble » « Je ne vois pas comment je peux être sérieux avec un enfant de moi en lui disant : tu es le fils ou la fille d’un curé.«
Marc Bradfer et Olivier ont souhaité se rencontrer. Pour Marc, « On commence à parler à visage découvert. On passe de l’obscurité à la lumière et l’église devra être éclairée par nos témoignages puisqu’elle est si apte à proclamer la vérité, il faut aussi qu’elle soit capable de l’entendre. C’est son avenir et ça sera peut-être celui d’autres parents qui ressembleront aux nôtres. » « On est déjà deux, peut-être qu’on sera 3, 4 ou 5 dans plusieurs mois… on verra bien » espère Olivier..
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